samedi 16 juillet 2011

Éloge du Mérite

Nous vivons dans le meilleur des mondes, c'est bien de le répéter…
Comme, de l'extérieur, on a parfois l'impression que le monde est injuste, je suis allé personnellement interroger les gens qui avaient l'air le plus privilégiés, pour leur demander leur avis. Leur réponse est unanime : tout est très bien comme ça, et, en voulant changer les choses, on ne pourrait que perturber le fragile équilibre d'un système parfait.

A est milliardaire parce qu'il court vite et se débrouille très bien avec tel type de ballon. Si je lui fais observer que B est beaucoup moins riche, alors qu'il court aussi vite, A me répond que B a choisi le mauvais sport et que c'est donc de sa faute s'il végète avec des sponsors radins.

C est très belle et elle gagne beaucoup d'argent en se faisant photographier avec de beaux vêtements. Elle justifie son argent pour couvrir ses dépenses pour échapper aux paparazzi.

D est née avec une cuillère en métal précieux dans son orifice buccal. Elle justifie tous ses avantages, parce qu'elle est très moche et c'est donc une juste compensation à ce désagrément. Elle peut ainsi s'offrir des opérations chirurgicales qui aident à diminuer sa disgrâce.

E gagne beaucoup d'argent parce qu'elle a fait beaucoup d'études et qu'elle occupe un poste à responsabilité au sein d'une grande entreprise. Si je lui présente F, qui a fait plus d'études qu'E, et qui gagne moins, E répond qu'il a choisi la mauvaise branche et qu'il devait le savoir dès le départ. F a choisi un domaine qui lui plaisait, sans se préoccuper des rémunérations. Peut-on être plus irresponsable ? Mérite-t-on mieux son sort ?

G n'a pas fait d'études, il a longtemps occupé des emplois subalternes, inintéressants, commandé par des petits chefs impudents, qui ne lui laissaient aucune initiative. C'est pourquoi il est juste que G ait gagné les six numéros du Loto.

H est chanteuse à succès. Elle a si bien réussi dans son métier qu'elle possède autant de maisons que de villes à sa prochaine tournée. Vous ne voudriez tout de même pas qu'elle aille dormir à l'hôtel ? Et s'il n'y avait plus de chambres ?

I est jeune, beau et il joue bien. Quoi de plus normal, dans le meilleur des mondes, qu'on le couvre de gloire et d'argent ?

L'alphabet est long et trouverez-vous jamais quelqu'un qui vous dira : "Nous vivons dans un monde injuste. J'en ai largement bénéficié et c'est dégueulasse pour les autres…" ? Alors, abrégeons les exemples !

Z est vieux (pas si vieux, puisqu'il était encore en activité), moche (pas moche pour tout le monde, paraît-il…), fonctionnaire et présumé éventuellement peut-être coupable de délits sexuels. Quoi de plus normal qu'on lui offre une indemnité de départ royale, pour le remercier de ses bons et loyaux services ?

Naturellement, toute ressemblance avec des personnalités existant ou ayant existé ne saurait être purement fortuite.

Les limites du mérite ?

On entend souvent dire que les athlètes de haut niveau, particulièrement quand il tape dans une balle (avec le pied ou une raquette…), ont un niveau de vie élevé, parce que leur carrière est forcément courte. Comme si, leur notoriété aidant, un seul athlète de haut niveau allait rester inscrit à Pôle Emploi jusqu'à l'âge de la retraite :
— On va vous mettre un costume et un badge de l'entreprise et vous allez sourire là, au bas de l'escalier.
— Oh… Ben non ! Moi je sais seulement mettre un short et taper dans une balle avec une raquette…
Il faut bien croire que c'est possible…

De la même manière, comment ne pas s'étonner, en période de crise, des parachutes dorés et autres retraites de ministres, qui se cumulent allègrement avec les reprises d'activité ?

Que l'on dispense aux personnes handicapées des allocations (inférieures à certains pourboires) pour les aider à vivre, quoi de plus normal dans une société globalement riche ?
Pourquoi traiter nos super-héros représentants du peuple, nommés aux postes les plus élevés de l'État, au nom de leur compétence, évidemment, comme s'ils étaient trop bêtes pour se réinsérer à leur sortie du Ministère, du Sénat, du Palais-Bourbon ?

À la limite, que l'on aide les ex-prisonniers à se réinsérer honnêtement par une aide pécuniaire (qui n'existe pas, à ma connaissance), ce serait logique, mais nos surhommes sont-ils à ce point handicapés par leurs capacités pour risquer de ne pas trouver de travail ? Sont-ils trop nobles pour aller s'inscrire à Pôle Emploi ?
— Faites la queue comme tout le monde, Monsieur le Ministre !
— Madame, où est l'huissier pour me conduire aux toilettes ?
— Vous avez été médecin ou avocat ? On en manque à Gennevilliers…
— Ah oui ? Et… il y a une voiture de fonction ?

Non, bien sûr, tout le monde sait qu'ils se replacent tous très bien et dans les meilleures conditions dans les plus grandes entreprises, et aux postes les mieux rémunérés. Alors ?

Alors… Les retraites de ministres et autres avantages similaires ne sont que des manières d'augmenter artificiellement l'intérêt financier à être élu au plus haut niveau.

De la sorte, on est sûr d'attirer à ces postes, les individus les mieux disposés à l'égard de cette valeur fondamentale de notre société (l'Argent) et le pays n'en sera que mieux gouverné dans l'intérêt de… du meilleur des mondes.

La boucle est bouclée.

D'ailleurs, comme je dis souvent à mes collègues, qui se plaignent de ne pas avoir trouvé le courage d'aller voir ailleurs :
— Si nous sommes là, tous ensemble, c'est bien pour expier les méfaits de nos vies antérieures…

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