jeudi 23 juin 2011

Cerise sur le ghetto I : SuperNormal !

Quand on a la chance d'habiter dans une banlieue privilégiée (ce qui veut seulement dire que les lois habituelles ne s'y appliquent pas… Comme on dit dans les journaux, "ces territoires où les lois de la république ne s'appliquent plus"… Des lieux privilégiés, donc), dans un de ces endroits extraordinaires (pas ordinaires, donc) qu'un Ministre de l'Intérieur célèbre, devenu ensuite Président de la République, a promis vainement de "nettoyer au Kärcher", on a un peu de mal à se considérer comme un Français normal.

Même si l'on n'est pas forcément "issu de l'immigration", on appartient à ces territoires où le chômage fleurit plus qu'ailleurs, où la crise économique se ressent plus durement, où le niveau de vie est moins élevé, de même que de nombreux autres niveaux, culturels, scolaires, sociaux, etc.

Bref, on est bien là dans le dessous de la France d'en bas, et sur votre CV, votre adresse devient un bon argument pour continuer à profiter longuement des services du Pôle emploi…

Il est vrai aussi que si l'on est effectivement d'origine étrangère (et que cela se voit…), le handicap à surmonter est encore plus grand et l'effort devra être proportionné…
À part quelques champions d'arts martiaux (qui déchirent…), qui reviennent triomphalement aider les petits frères, qui se félicite d'habiter dans ces endroits ?
On ne s'y installe pas volontairement pour y jouir des infrastructures culturelles ou sportives, mais plutôt contraints et forcés par les difficultés économiques et les prix de l'immobilier…

On imagine donc bien que de grandir dans ce genre d'environnement, même avec les meilleurs parents du monde, ce n'est pas une chose facile.
Chaque individu a besoin, pour s'épanouir, de croire à sa propre valeur, et de s'en réjouir. Si le reste du pays vous renvoie une image négative, vous devrez faire des efforts particuliers pour vous convaincre et les convaincre qu'ils ont tort, et que vous avez plus de valeur qu'il n'y paraît.

Qu'est-ce qui peut être supérieur au mépris d'un président de la république ou d'un peuple entier ? Dieu !
La religion est donc une bonne réponse, pour une personne qui cherche des valeurs auxquelles s'identifier, pour avoir soi-même de la valeur.
Ne cherchez pas ailleurs que dans le mépris et les difficultés économiques, le développement de la religion (et de l'Islam) dans les banlieues.
D'un coup de livre magique, vieux de nombreux siècles, et moyennant quelques prières, on transforme une racaille en saint homme ! Et ça marche aussi un peu avec les femmes, évidemment, à un moindre degré…

Bon, donc la religion, valeur-refuge des méprisés, soit. Il n'y a pas que cela. Le jeune de banlieue se veut normal, aussi normal qu'un jeune de la ville, voire plus normal même !
C'est donc une superNormalité qu'il va chercher à cultiver pour compenser son déficit de départ, pour le surpasser d'une manière définitive, indubitable, absolue.

Qu'est donc cette superNormalité ? C'est une normalité orthodoxe, intégriste, farouche, qui vous fait aimer les choses normales, les gens normaux, et vous n'allez pas vous arrêter en si bon chemin : vous allez, plus que les gens normaux, aimer les choses normales et donc, fuir, détester les choses anormales, haïr les gens anormaux, et abhorrer l'idée que l'on puisse imaginer seulement que vous puissiez n'être pas complètement, absolument normal.

Si vous êtes chauve, vous allez vous raser le crâne, pour faire partir de la grande communauté des crânes rasés, plutôt que d'être un mal chevelu…
Si vous êtes petit, vous allez mettre des talonnettes.
Et puis, pour vous sentir moins seul dans un monde hostile, vous allez vous joindre à une bande de jeunes qui partageront les mêmes valeurs superNormales, et vous aideront ainsi à vous convaincre que vous faites partie d'une élite méconnue certes, mais injustement.

Prenons l'exemple de l'homophobie.
Que nous importe en réalité qu'untel pratique la sexualité de son choix chez lui avec un autre adulte consentant ? Tant qu'il ne nous force pas à nous joindre à lui…
Eh bien ! C'est faire là preuve d'un laxisme, digne d'une personne simplement normale. Quand on est superNormal, on est offusqué, indigné, gêné que de telles choses puissent seulement exister ! Et on est fier de cette indignation, qui est un signe de superNormalité épanouie, triomphante, autant dire un signe de supériorité évidente !
Quand on est superNormal, par exemple, on s'offusque de voir tous ces sexes d'hommes dans les musées ou sur les statues des jardins publics parisiens ! Quelle dépravation chez des personnes qui se disent normales ! Comme la superNormalité est supérieure !

Alors, si d'aventure, notre route croise celle d'une de ces malheureuses créatures, auxquelles la loi française interdit le mariage, l'adoption, et évidemment la parentalité, et qui sont donc considérés légalement comme des anormaux (même si le mot n'est pas explicitement employé, on peut au moins parler de personnes inférieures juridiquement), même si médicalement, on les a finalement retirés de la liste des maladies mentales…
Bref, vous croisez ce genre de personnes et comme votre regard trahit votre gêne à son approche, l'autre peut se méprendre et oser vous aborder d'une voix douce, qui vous retourne d'horreur…
Que croyez-vous que ferait une personne normale ? D'un haussement d'épaules désinvolte, elle s'éloignerait avec un "Merci, je ne mange pas de ce pain-là…".
Mais, là, non, nous avons affaire à une personne superNormale, révulsée à la seule pensée que l'on pourrait le voir et croire que peut-être il apprécie cette compagnie et ce dialogue involontaire… Alors, comment faire autrement que de laisser libre cours à un besoin légitime de violence, pour éradiquer une bonne fois toute cette anormalité épanouie si dérangeante pour l'égo ? Car enfin, si l'on peut s'afficher si ouvertement différent, et n'en être pas dérangé, c'est que cette sacro-sainte superNormalité est implicitement un modèle de comportement arbitraire, qui n'a donc aucune valeur absolue et universelle ?
C'est Dieu qu'on assassine ! Et comme Dieu ne peut pas se défendre tout seul, il faut bien le faire à sa place…

D'ailleurs Dieu n'aime pas les homosexuels, c'est bien connu…

Moralité : Quand les citoyens de seconde zone se font la guerre, les citoyens de première zone ont la paix.

Éloge du Normal

"Homo" signifie "pareil, semblable".
Homosexualité, c'est donc la sexualité entre personnes du même sexe.

Partant de là, l'homophobie devrait être la détestation de ce qui est comme nous, et l'amour des différences !
En réalité, les homophobes sont homophiles, puisqu'ils aimeraient retrouver chez les autres leurs propres caractéristiques.

Comment, à l'heure d'Internet, peut-on encore aimer nos ressemblances ?
La réponse est simple : ce que nous sommes, ce que nous avons, ce que nous pensons, n'a de valeur que dans la mesure où nous sommes nombreux à partager ce que nous érigeons alors au rang de "valeurs".

Moins nos caractéristiques (couleur de la peau, langue, goûts, préférences…) sont universelles, plus elles dépendent des aléas de notre destin personnel, moins nous pouvons nous accrocher à l'illusion d'appartenir à un grand tout rassurant. Plus nous risquons de nous retrouver à l'état d'enfant perdu sans ses parents dans le grand magasin de la vie…

Le racisme, la xénophobie, la religion, l'homophobie, sont autant de "valeurs" auxquelles se raccrocher pour ne pas nous diluer dans l'océan humain.

mercredi 22 juin 2011

Salut, Éric !

Le quartier a perdu son commerçant le plus humain.

Éric n’est plus.

Vous ne verrez sans doute pas d'annonce nécrologique dans les grands journaux et on n'en dira rien à la télé non plus.
Éric, ce n'était que le marchand de fruits et légumes du quartier.

Un petit homme gentil, toujours de bonne humeur et que tout le monde aimait bien.
Derrière sa caisse, son mur était couvert de dessins donnés par les enfants.
Ceux des mes enfants y sont sans doute encore…

Il aimait bien les enfants et les enfants l'adoraient. Non pas qu'il leur donnât des bonbons… Non, il ne leur donnait que des fruits et des sourires. Il leur parlait, aussi.

Évidemment, il avait les meilleurs fruits et légumes du quartier, et il avait à cœur d'offrir toujours de bons produits.

Toujours un sourire aimable, une gentillesse sincère. À l'opposé du commerçant qui vous fait bonne figure pour vous refiler un fruit pourri…

Chez Éric, le client se servait lui-même, puis, on passait à la caisse, bavarder avec Éric, s'il n'y avait pas trop de monde. Un plaisir de faire les courses…
Samedi, Éric est venu travailler comme d'habitude. On voyait bien sur son visage qu'il n'allait pas bien, mais il a travaillé jusqu'à l'heure de fermeture. À bout de forces.

Dimanche, Éric nous a quittés pour toujours. Il avait 55 ans.
J'ignore la cause médicale de son départ, et je ne veux pas la connaître. Savoir qu'on aurait peut-être pu l'éviter rendrait les choses encore plus douloureuses.

Depuis qu'il est parti, ses stores métalliques restent baissés, mais des enfants y ont collé des dessins. "Au revoir, Éric !" disent-ils simplement.
J'avais juste besoin de rendre hommage à un homme qui a su humaniser son travail et le quartier auquel il appartenait.
J'oubliais un dernier détail…

Éric était gay.
Cela se voyait sur son visage, à cause du fond de teint dont il se couvrait toujours, et il ne s'en cachait pas dans ses propos, évoquant son compagnon.

Pour certaines gens, cela suffisait à rendre Éric méprisable.
Pour tous les autres, c'était la preuve que les homos sont des gens normaux.
Certaines gens ont besoin d'en mépriser d'autres pour se sentir supérieurs.
C'est pour plaire à des gens comme ça, qu'on fait encore les lois aujourd'hui.

Éric fait partie de ses personnes à qui on a refusé le droit de se marier. Une mesure qui ne coûterait rien au budget, et qu'on refuse, juste pour faire chier !

J'ai honte pour ce pays, qui a perdu la notion du Bien et du Mal.
Salut Éric, si tu reviens à l'intérieur de quelqu'un d'autre, ce sera toujours un plaisir…

mercredi 1 juin 2011

Pour en finir avec la vie éternelle (1re partie : À quoi bon ?)

Laissez-les croire !

La vie éternelle a changé l'histoire de l'humanité, pour le meilleur ou pour le pire ?

Avec la perspective de la vie éternelle, le bonheur sur terre ?

Si vous assortissez la promesse de vie éternelle de quelques messages lénifiants "soyez bien gentils et vous aurez le paradis" et "sinon ce sera l'enfer pour vous", on devrait obtenir une population "zen" et détachée des réalités bassement matérielles, en attente du paradis promis…

Depuis des millénaires, toute la population occidentale a été pénétrée de la promesse de vie éternelle, et on a donc eu tout le temps de voir son influence sur la vie des gens… Est-ce donc le sympathique bonheur promis ?

À quoi bon se disputer les richesses de la terre, puisque l'important sera après la vie ?

Imaginons le meilleur des mondes :
– Je vous en prie… Après vous.
– Je n'en ferai rien. C'est à votre tour…
– Nous n'allons pas nous disputer pour si peu… L'important, c'est la vie éternelle !
– Bien évidemment !
Imaginez… Un monde fraternel, égalitaire, où tout le monde partagerait tout avec tous, sans chercher à commander pour le plaisir ou à accaparer inutilement des biens qui vous plomberaient le paradis… Un monde où l'on ne fabriquerait pas des pauvres pour le plaisir de s'enrichir.
Un monde pas si virtuel
Les accros aux jeux vidéo, qui laissent mourir de faim leurs enfants, ont perdu pied avec la réalité, au profit d'un monde virtuel, qui leur donne plus de satisfactions.

La promesse du paradis n'a pas transformé l'humanité en gentils drogués, qui se foutent de tout en attendant leur part de bonheur éternel…
Soyons lucides… La promesse de vie éternelle n'a pas amélioré l'humanité. Bien au contraire !

Bienvenue dans le monde réel !

Peu importe à quelle peuplade lointaine nous devons la première forme de vie éternelle… Des Sumériens, des Assyriens, des Grecs, qu'importe !
Qu'avons-nous observé en vrai ? Une oligarchie qui s'étouffe de luxe depuis des millénaires et opprime la masse du peuple pour en tirer son train de vie… et un peuple — encadré par un clergé vêtu d'or — qui survit à grand'peine, mais ça n'est pas grave, car le Seigneur a dit "Heureux les malheureux car ils seront bienheureux" …une fois morts, bien sûr !

Et puis, si vous êtes trop dégoûté par tant d'injustices, "il est plus difficile à un riche d'entrer au paradis qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille…", et toc ! Voilà qui est envoyé…

Pour les ignares qui se demanderaient pourquoi les riches n'ont pas peur de l'enfer, je vous renvoie à la merveilleuse pratique des indulgences, qui consistent à se racheter de ses pêchés, moyennant une petite part de son superflu…

Bref, la plupart des gens étaient détachés des réalités matérielles, soit, mais contraints et forcés, et les autres, ceux qui étaient copains comme cochons avec les plus hauts dignitaires des églises, vivaient exactement comme s'il n'y avait pas vraiment de vie éternelle. « Tout ce que je peux prendre aujourd'hui, je n'aurai pas à le prendre demain… Et j'en ferai accessoirement cadeau aux enfants… »
Regardons le spectacle lamentable de notre planète ! Des océans de plus en plus pollués où les poissons ont du mal à survivre. Un climat qui devient fou… Une couche d'ozone qu'on dévore allégrement…

Où est le problème ?
Ben quoi ? L'important, c'est la vie éternelle !

Les ours blancs et les abeilles peuvent aller rejoindre les mammouths et les oiseaux dodos au museum des animaux disparus. Ce n'est pas grave, puisqu'ils n'ont pas d'âme !

On peut bien finir de détruire notre planète et l'humanité disparaître en grinçant des dents, quelle importance puisque le paradis aura toujours assez de places pour tous les hommes méritants (et accessoirement les femmes, puisqu'on a admis tardivement qu'elles avaient une âme, de même que les autres races que la blanche…).

Grâce à la vie éternelle, la Terre est devenu notre cahier de brouillon, où nous pouvons faire n'importe quoi, sans que cela ait de conséquences sur notre vie éternelle.

À qui profite le crime ?
Bizarre, non ?

Parce que… si la vie éternelle n'était qu'une arnaque… Tiens, on suppose…
À qui profiterait-elle le plus, sinon à ceux qu'elle dérange le moins dans leur vie quotidienne ?

En vérité, je vous le dis, celui qui croit en des promesses invérifiables, ne viendra jamais se plaindre d'avoir été trompé !


Maintenant, comment pourrait-on vivre sans la vie éternelle ?

Donnons-nous la peine d'imaginer un monde sans croyance à la vie éternelle…
On n'a qu'une vie, qui commence à la naissance et se termine définitivement à la mort.

Il appartient à chacun de donner un sens à cette existence, par ses actes, ses choix, ses efforts pour atteindre ses buts…

Alors, oui, on peut s'attendre à une humanité moins docile à respecter le désordre établi au fil des siècles, moins encline à courber l'échine devant des dignitaires, qui n'ont pas plus de dignité que les autres…

Ça ne serait pas si mal de remettre un peu d'équité dans ce salmigondis nauséabond qu'est notre économie, de refaire passer les êtres humains avant les marchandises et les monnaies… Mettre un frein à la cupidité humaine en plafonnant les revenus, comme on a su fixer un plancher ? Oh ! L'idée audacieuse que voilà…

Notre vie est précieuse car nous n'avons rien d'autre. Chaque vie est précieuse, comme est précieux l'environnement et les êtres vivants qui nous entourent. Nous ne sommes plus des créatures supérieures, des espèces d'Aliens dominateurs. Nous partageons la planète avec la faune et la flore qui essaient d'y vivre en équilibre, malgré nos interventions planétaires…

Si nous respectons la vie dans son ensemble, c'est parce que nous avons investi cette Vie mystérieuse (dont nous ne savons pas tout, mais l'ignorance est un défi permanent à relever…) de nos sentiments que d'aucuns appellaient spirituels.
Alors, nous respectons évidemment tous les autres êtres humains, sans distinction de race ou de continents…

Bref, un gentil meilleur des mondes sans mensonges, sans exploitation de l'homme, de la nature et de la planète, par une poignée de dépravés cupides, à qui l'on a eu la sottise de laisser croire qu'ils étaient au-dessus de l'humanité ordinaire…
Bien sûr, ce sont de gentilles conjectures… Cela vaut la peine d'essayer — au moins sur le papier — parce que de toutes façons, si on continue comme ça, on ne pourra pas se mordre les doigts encore longtemps…

Mais, comment faire pour se débarrasser de cette croyance si ancrée qu'on la croirait naturelle ?
Et d'où vient-elle au juste ?
(À suivre)