Quand on a la chance d'habiter dans une banlieue privilégiée (ce qui veut seulement dire que les lois habituelles ne s'y appliquent pas… Comme on dit dans les journaux, "ces territoires où les lois de la république ne s'appliquent plus"… Des lieux privilégiés, donc), dans un de ces endroits extraordinaires (pas ordinaires, donc) qu'un Ministre de l'Intérieur célèbre, devenu ensuite Président de la République, a promis vainement de "nettoyer au Kärcher", on a un peu de mal à se considérer comme un Français normal.À part quelques champions d'arts martiaux (qui déchirent…), qui reviennent triomphalement aider les petits frères, qui se félicite d'habiter dans ces endroits ?
Même si l'on n'est pas forcément "issu de l'immigration", on appartient à ces territoires où le chômage fleurit plus qu'ailleurs, où la crise économique se ressent plus durement, où le niveau de vie est moins élevé, de même que de nombreux autres niveaux, culturels, scolaires, sociaux, etc.
Bref, on est bien là dans le dessous de la France d'en bas, et sur votre CV, votre adresse devient un bon argument pour continuer à profiter longuement des services du Pôle emploi…
Il est vrai aussi que si l'on est effectivement d'origine étrangère (et que cela se voit…), le handicap à surmonter est encore plus grand et l'effort devra être proportionné…
On ne s'y installe pas volontairement pour y jouir des infrastructures culturelles ou sportives, mais plutôt contraints et forcés par les difficultés économiques et les prix de l'immobilier…
On imagine donc bien que de grandir dans ce genre d'environnement, même avec les meilleurs parents du monde, ce n'est pas une chose facile.
Chaque individu a besoin, pour s'épanouir, de croire à sa propre valeur, et de s'en réjouir. Si le reste du pays vous renvoie une image négative, vous devrez faire des efforts particuliers pour vous convaincre et les convaincre qu'ils ont tort, et que vous avez plus de valeur qu'il n'y paraît.
Qu'est-ce qui peut être supérieur au mépris d'un président de la république ou d'un peuple entier ? Dieu !
La religion est donc une bonne réponse, pour une personne qui cherche des valeurs auxquelles s'identifier, pour avoir soi-même de la valeur.
Ne cherchez pas ailleurs que dans le mépris et les difficultés économiques, le développement de la religion (et de l'Islam) dans les banlieues.
D'un coup de livre magique, vieux de nombreux siècles, et moyennant quelques prières, on transforme une racaille en saint homme ! Et ça marche aussi un peu avec les femmes, évidemment, à un moindre degré…
Bon, donc la religion, valeur-refuge des méprisés, soit. Il n'y a pas que cela. Le jeune de banlieue se veut normal, aussi normal qu'un jeune de la ville, voire plus normal même !
C'est donc une superNormalité qu'il va chercher à cultiver pour compenser son déficit de départ, pour le surpasser d'une manière définitive, indubitable, absolue.
Qu'est donc cette superNormalité ? C'est une normalité orthodoxe, intégriste, farouche, qui vous fait aimer les choses normales, les gens normaux, et vous n'allez pas vous arrêter en si bon chemin : vous allez, plus que les gens normaux, aimer les choses normales et donc, fuir, détester les choses anormales, haïr les gens anormaux, et abhorrer l'idée que l'on puisse imaginer seulement que vous puissiez n'être pas complètement, absolument normal.
Si vous êtes chauve, vous allez vous raser le crâne, pour faire partir de la grande communauté des crânes rasés, plutôt que d'être un mal chevelu…
Si vous êtes petit, vous allez mettre des talonnettes.
Et puis, pour vous sentir moins seul dans un monde hostile, vous allez vous joindre à une bande de jeunes qui partageront les mêmes valeurs superNormales, et vous aideront ainsi à vous convaincre que vous faites partie d'une élite méconnue certes, mais injustement.
Prenons l'exemple de l'homophobie.
Que nous importe en réalité qu'untel pratique la sexualité de son choix chez lui avec un autre adulte consentant ? Tant qu'il ne nous force pas à nous joindre à lui…
Eh bien ! C'est faire là preuve d'un laxisme, digne d'une personne simplement normale. Quand on est superNormal, on est offusqué, indigné, gêné que de telles choses puissent seulement exister ! Et on est fier de cette indignation, qui est un signe de superNormalité épanouie, triomphante, autant dire un signe de supériorité évidente !
Quand on est superNormal, par exemple, on s'offusque de voir tous ces sexes d'hommes dans les musées ou sur les statues des jardins publics parisiens ! Quelle dépravation chez des personnes qui se disent normales ! Comme la superNormalité est supérieure !
Alors, si d'aventure, notre route croise celle d'une de ces malheureuses créatures, auxquelles la loi française interdit le mariage, l'adoption, et évidemment la parentalité, et qui sont donc considérés légalement comme des anormaux (même si le mot n'est pas explicitement employé, on peut au moins parler de personnes inférieures juridiquement), même si médicalement, on les a finalement retirés de la liste des maladies mentales…
Bref, vous croisez ce genre de personnes et comme votre regard trahit votre gêne à son approche, l'autre peut se méprendre et oser vous aborder d'une voix douce, qui vous retourne d'horreur…
Que croyez-vous que ferait une personne normale ? D'un haussement d'épaules désinvolte, elle s'éloignerait avec un "Merci, je ne mange pas de ce pain-là…".
Mais, là, non, nous avons affaire à une personne superNormale, révulsée à la seule pensée que l'on pourrait le voir et croire que peut-être il apprécie cette compagnie et ce dialogue involontaire… Alors, comment faire autrement que de laisser libre cours à un besoin légitime de violence, pour éradiquer une bonne fois toute cette anormalité épanouie si dérangeante pour l'égo ? Car enfin, si l'on peut s'afficher si ouvertement différent, et n'en être pas dérangé, c'est que cette sacro-sainte superNormalité est implicitement un modèle de comportement arbitraire, qui n'a donc aucune valeur absolue et universelle ?
C'est Dieu qu'on assassine ! Et comme Dieu ne peut pas se défendre tout seul, il faut bien le faire à sa place…
D'ailleurs Dieu n'aime pas les homosexuels, c'est bien connu…
Moralité : Quand les citoyens de seconde zone se font la guerre, les citoyens de première zone ont la paix.